Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.
3

À Honfleur, l’habitant se désole. Cependant les maisons de cette petite cité, toutes revêtues d’ardoises contre la pluie, ce qui les fait changeantes comme des pigeons, gardent soigneusement debout l’âme ancienne qui les conçut. Ce sont des maisons-revenants. Elles ont les pignons et les béquilles d’autres siècles. Il y en a du xive qui tiennent encore.

La Lieutenance, qu’on restaure, elle, et qui, parmi les bassins du port, est aussi ravissante et vénérable que son nom, et qui porte dans sa niche une petite sainte Vierge vêtue de dentelles, les deux clochers des deux paroisses, Sainte-Catherine et Saint-Léonard, voilà les éminences de Honfleur. (Je me loue d’être née sur Sainte-Catherine, dont l’intérieur est en bois et fait comme une barque, car son clocher m’a montré tout de suite l’exemple de l’indépendance, puisque, seul de son bord, il se tient à côté de son église et non dessus.)

Le quai Sainte-Catherine, reflété tout entier dans son vieux bassin, rappelle, en plus beau, le Longarno de Florence. (Mes voyages n’auront été que comparaisons.) Le cours d’Orléans, qu’on appelle aujourd’hui de la République, long d’une lieue, on dirait, avec ses arbres géants plantés par Marie-Antoinette, et qui descend de la campagne jusqu’à la Poissonnerie, est une entrée de ville comme je n’en connais pas. Et, sur les collines qui, des deux côtés, enferment mon Honfleur, sont les fermes rayées et leurs fermiers, ainsi que l’odeur des pommes, du foin, de la pluie, — campagne copieuse, ardente végétation, chevelure verte de ce quartier de Normandie.

En haut, donc, la culture et ses parfums. En bas, la ville et ses relents : goudron, bois du Nord, marine, poisson.

Elle a ses bourgeois, la ville, comme partout, ses commerçants et aussi ses ouvriers qui vivent de deux ou trois usines et scieries. Mais elle a ses pêcheurs qui ne sont qu’à elle, et ses petites barques à voile, qui, battant des ailes tout au milieu des maisons d’ardoise, ont l’air de se promener dans les rues.