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rédalga

Elle tourna la tête, comme éveillée en sursaut.

Darling ?

Ce petit mot câlin ! Il avala sa salive. Quel travail que de prêcher quand on dispose de si peu de mots ! Sa voix fut plus brève qu’il ne l’eût voulu.

You… Aimer beaucoup drink, je crois… lança-t-il avec une sorte de rage.

Dans les yeux qui le regardèrent à ces mots, al vit passer soudainement une crainte de bête maltraitée. Il put croire qu’elle allait se lever pour se sauver d’un bond.

— Non !… Non ! s’empressa-t-il, effrayé, Moi pas gronder. You pas peur. No afraid ! Je demande simplement !

Il n’osait plus un mouvement. Cette femme lui faisait mal. Il avait envie de pleurer de pitié.

Elle finit par baisser la tête, et si profondément qu’on eût dit qu’elle ne la relèverait plus. Harlingues essuya ses doigts comme il put à sa blouse, et s’approcha. D’une main caressante, il essaya de relever le menton baissé. Mais elle se crispait pour ne pas obéir. Il s’agenouilla devant elle. Si près d’elle, il sentit l’odeur de son haleine, encore imprégnée d’alcool.

Il faisait effort pour mettre ses yeux dans les siens. Elle détourna la tête avec violence. I] vit comme elle mordait sa lèvre jusqu’au sang. Que faire ?

You pas raisonnable… murmura-t-il sur le ton d’une berceuse, en lui prenant les mains de force. Moi je voudrais love you, et vous, peut-être love me un peu déjà. Alors fini drink maintenant ! You plus jamais, jamais.

Il fit le geste de boire. Il pensait aux mystères de cette vie pathétique, aux malheureux qui l’avaient poussée dans le mauvais chemin. C’était l’émotion qui va jusqu’aux larmes. Pourtant, accroupi par terre dans une pose incommode, il faisait, faute de mieux, cette misérable mimique d’opéra-bouffe.