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rédalga

vue ivre et crasseuse, et rencontrée à la table d’un bar. Il ne savait que ce que Rodrigo lui en avait dit. Telle qu’elle se présentait maintenant, coquette, correcte et parée de son passé d’artiste et de femme, telle qu’il croyait toujours l’avoir connue.

La tenant encore par les mains, il l’attira doucement jusqu’au milieu de l’atelier. Il reculait en l’entraînant, et il la dévorait du regard.

Avec tout ce qu’il avait à lui dire, être obligé de garder le silence !

Malgré lui, les mots jaillirent de ses lèvres :

— Vous êtes belle ! Je suis heureux de vous voir… Ah ! si vous saviez ! Ôtez votre chapeau, que je voie vos cheveux… Comme vous êtes bonne d’être venue !

Elle dut attraper quelque chose au vol, car, délivrant ses mains, elle retira son chapeau.

— C’est ça ! Oh ! c’est magnifique !… On dirait une grande algue rouge.

Ses yeux tendres se promenaient sur la chevelure ensoleillée. Ce n’était pas absolument ce qu’on entend par rouge, mais plutôt le passage où le blond ardent va devenir rouge. Naturellement tordues, parcourues d’ondes épaisses, sans un fil blanc, les mèches en révolte accrochaient la lumière finissante et la renvoyaient, lueurs d’embrasement. C’était de ces gros cheveux riches qui se disposent d’eux-mêmes en forme de crinière.

Elle voyait bien qu’il l’accueillait avec joie, faisait fête à sa coiffure sauvage. Elle dit, un peu de bonheur sur sa figure ravagée :

You like it, don’t you ?

— Oui ! I like it. Oui, je les aime…

Les yeux fermés, la figure crispée par l’effort, il chercha. Comment, en anglais, dit-on : « algue rouge » ?

Mais cela dépassait son maigre savoir.