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rédalga

Tous les ateliers de Paris savent qu’il a réalisé ce prodige de réussir le moulage complet d’un cheval vivant, sans souffrance pour l’animal ni blessure pour l’exécutant.

— Quand peux-tu me mouler ça !

Une nouvelle arrivée les interrompit. C’était Kriegel, le petit praticien suisse, fragile et sympathique, avec son air effacé, ses yeux inquiets. Celui-là, par amour de la France, où sa vie s’est fixée, a fait la guerre dans notre infanterie, au lieu de se mettre à l’abri derrière les Alpes.

— Comment va, Krikri ?

— Pien, pien !… Et toi, Chude ?… Et fous, monsieur Samatel ? Che fiens foir quand c’est qu’on tégrossit les allégories.

Alors tous les trois, absorbés, discutèrent de leurs communes affaires. Puis enfin leur conversation dévia, mais sans pouvoir sortir du domaine de la sculpture, car Samadel avait lui-même exposé jadis, et Kriegel, en bon praticien, se doublait d’un créateur.

Cigarettes aux lèvres, debout au milieu du désordre fécond de l’atelier, ils se sentaient à l’aise, à leur place sur la terre, et comme plongés dans leur bouillon de culture.

Harlingues, malgré lui, tout en parlant, continuait à masser le visage d’argile.

Il rectifiait une ride de la tempe ou bien arrondissait une boucle sur le front.

Le bleu de l’été commençant remplissait les vitrages. Imprégné des humidités de la terre glaise et de la sueur des plâtres, l’atelier était frais comme une cave.

— Oui… Mais devant la plus travaillée de nos œuvres modernes, Praxitèle dirait : « Ce n’est pas mal parti. Voyons ce que ça va devenir ! » Et pourtant quelle simplicité dans la technique grecque ! Je me dis toujours…

Harlingues n’acheva pas sa phrase, Ce frappement autoritaire, ce ne pouvait être qu’Alvaro.