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rédalga

La première injure a osé siffler sur ses lèvres. Quelle volupté ! Les autres vont suivre plus facilement. Il en a plein la bouche, depuis près de neuf heures de silence.

— Sale poivrote !… tu n’es qu’une poivrote (il la secoue par saccades qui rythment les mots), une poivrote et une voleuse ! Tu m’avais déjà volé mon porto. Maintenant, c’est Alvaro que tu voles, en compagnie de son valet ! Une voleuse et une menteuse ! Ai-je assez bien gobé tes comédies ? M’as-tu bien fait marcher avec ton eau dans ton vin, sale Anglaise hypocrite !… Ah !… ah !… Je me félicitais de te voir devenir gaie, ah ! ah !… J’attribuais ton changement aux bienfaits de la sobriété ! Ah ! ah !

Son espèce de rire était plus affreux que tout le reste. Un genou sur le lit, il avait l’air d’un assassin.

Ses doigts serrèrent plus fort, les secousses furent plus brutales.

— Mais, cette fois, tu entends, ça ne va pas se passer comme ça, tu entends ?… Tu entends ?…

L’horreur de ne pas comprendre ce que vociférait cette fureur étrangère devait encore s’ajouter à la terreur de Rédalga. Elle savait déjà ce que c’était que d’être fouettée. Son visage était celui d’une morte. Le nez pincé, les lèvres mauves, elle n’avait plus de vivants que les yeux. Ils fixaient, dilatés, la figure avancée vers la sienne. C’était toute l’épouvante féminine devant la force écumante du mâle, le regard immense de Desdémone.

Les mains d’Harlingues retombèrent brusquement. Il ferma les yeux pour ne plus voir cela.

— N’aie pas peur, murmura-t-il. Je ne vais pas te battre. C’est fini.