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REVUE DES DEUX MONDES.

l’autre sa tranquille force d’inertie, les « deux petites » avaient fini par décourager leur mère. Non, je ne coudrais pas, non, je ne ferais pas le ménage !

Du sein de mon découragement total, je trouvai, quelques jours seulement après ma défaite, la volonté farouche de continuer à suivre mon instinct.

Ce fut à partir de cette visite à François Coppée que je m’astreignis à étudier à fond les formes fixes de la poésie française. Tierces rimes, ballades, rondeaux, rondels, triolets, je faisais toute seule de véritables devoirs de prosodie. C’était pour me rompre à toutes les difficultés, c’est-à-dire perfectionner le métier poétique ; c’était surtout, privée d’inspiration ou n’y croyant plus après un tel échec, pour remplacer, secrète et magnifique, et dont il m’était impossible de me passer, la joie d’obéir à la dictée de l’inconnu.

À l’académie de dessin où nous allions à ce moment, ma sœur Charlotte et moi, une vieille dame encore écolière parlait souvent d’un sien petit-fils qui faisait des vers. Ce fut d’elle que j’appris qu’existait le Petit traité de poésie de Théodore de Banville.

Aucun de mes livres de classe ne connut l’ardeur avec laquelle j’étudiai jusqu’à la moëlle cet étonnant livre. J’y achevai d’apprendre ce que tout poète devrait savoir. Et c’est autant par reconnaissance pour Banville que dans l’intérêt des jeunes qui me consultent aujourd’hui que je ne cesse de leur indiquer le Petit traité. Car je considère les enseignements de ce livre comme tables de la loi, affirme qu’on devrait, de nos jours, dresser ce livre face à la vague d’ignorance et de paresse qui fait versifier comme ils versifient les contemporains se disant poètes, eux que je rends en majeure partie responsables de la dévalorisation de la poésie en France.

À la rebuffade de François Coppée quand j’avais vingt ans, j’aurai dû de connaître à fond ce qu’il fallait connaître à fond :

… le métier
Étant l’autre aile du poète,

ai-je dit plus tard.

C’est pourquoi je peux quand même saluer sa mémoire d’un merci sans rancune et sans ironie.