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REVUE DES DEUX MONDES.

lui-même à mon intention. Les belles paroles dont il enveloppait ses cadeaux leur conférait un prix inestimable. Il me fit présent également d’un étui persan contenant des calames (plumes arabes) et d’un vase de Venise dont la trouble couleur est celle des tessons longtemps roulés par la mer.

Il m’emmena voir, aux côtés de Jacques Boulenger, des courses de lévriers qui le passionnaient, me fit monter dans son aéroplane à Villacoublay. Dans l’exemplaire de Forse che si forse che no imprimé pour moi personnellement, il écrivit cette dédicace, de sa belle écriture aux pleins et déliés éloquents : « … en admiration de son art et de sa paresse toute-puissante. »

Quand fut donnée sa pièce la Pisanelle ou la Mort parfumée, dans laquelle Ida Rubinstein apparaissait tour à tour en sauvage fille marine, en perverse châtelaine, en pure moniale, en courtisane sacrée (selon le personnage multiple et un qu’elle interprétait), nous étant brusquement trouvés tous deux face à face dans les couloirs du théâtre :

— D’où venez-vous, avec vos yeux qui brûlent dans l’huile ?

Je répondis :

— Je viens de voir jouer la Pisanelle.

— Mais la Pisanelle, dit-il, c’est vous !

J’ai bien souvent regretté, je regrette encore que la guerre, et tout ce qui l’y attendait d’assez fabuleux, l’ait pour toujours éloigné de nous. Avec lui, je ne puis mieux dire, on se sentait bien.

Lucie Delarue-Mardrus.