Page:Delarue-Mardrus - Mes mémoires, 1938.pdf/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
409
SOUVENIRS LITTÉRAIRES.

apportait en ménage. C’était une liste fort longue où figuraient : un crayon, une pendulette cassée, un clou, une paire de gants… on imagine le reste. Le père Bréard écrivit sans broncher, puis, tranquille, énonça :

— C’est vingt-quatre francs par objet.

— Je retire tout !… s’écria Sacha.

À cette noce se trouvèrent réunies, l’après-midi, dans l’herbage du New Cottage, autour d’un étang infesté de moustiques, toutes sortes de personnalités parisiennes. On avait lancé sur l’eau verdâtre un tub et, dans le tub, assis, peu vêtu, naviguait Jean Ajalbert. Les rires de Marguerite Deval fusaient. Charlotte Lysès s’était mise en robe de chambre, les cheveux lâchés sur les épaules. Les invités se bousculaient, ivres de gaieté. Pour mieux voir l’ensemble du spectacle, je m’étais juchée dans un arbre. Bientôt un cri général salua le naufrage du tub et de son contenu.

Vers le soir, il y eut un lancer de ballons en baudruche représentant des cochons. Puis, au banquet nocturne servi sous les pommiers, Laurent Tailhade, après avoir salué les mariés d’un discours fort littéraire, récita l’un de ses plus longs poèmes.


J’ai toujours chéri la solitude, et je pouvais l’avoir plénière à Honfleur, le Pavillon n’étant guère accessible, avec tant de marches à monter ou descendre pour ceux dont l’intention eût été de m’y déranger. Mon mari, de nouveau tout à sa roseraie, qu’il avait reconstituée, passait de longues heures dehors. Puis vint un jeu qui le conduisit aux limites de la passion. Il avait acquis, je ne sais par quel hasard, un de ces cerfs-volants qu’on appelle aigloplans. C’était une sorte d’immense oiseau de toile qu’il lançait dans les airs, avec mille mètres de corde pour le retenir.

Un jour, la corde cassa, l’oiseau de toile, libéré, s’envola selon la brise, et, bizarrement, alla s’accrocher, en ville, au haut du clocher de Saint-Léonard. Il fallut aller l’y chercher, non sans peine. Les gens d’en bas, sur le chemin Saint-Nicol, quand, au crépuscule, on ajoutait une lanterne allumée à la machine volante, croyaient à une étoile nouvelle et s’effrayaient, prédisant la fin du monde.

— Moi, je veux mourir la dernière !… disait une commère.