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REVUE DES DEUX MONDES.

Pour celui-là, je représentais une sorte de divinité que, par ferveur tremblante, il préférait ne pas trop souvent voir.

Ce fut lui qui, le premier, me donna mon titre de duchesse de Normandie, titre que les Normands veulent bien me conserver, pour mon amusement et ma fierté. Fernand Fleuret et moi, soutenus par Charles Le Goffic, maniâmes la hache d’abordage pour faire avoir à ce méconnu le Prix des Vikings. Il en fut le premier lauréat. Il devait mourir peu de temps après, emportant, sur une tête vieillie, la seule couronne qui lui fût enfin consentie pour la constance de son lyrisme que rien ne pouvait décourager.

Duchesse de Normandie… Mon mari, lui, m’appelait, m’appelle toujours, à la suite des Arabes qui me nommaient ainsi, « la princesse Amande ». Je fus longtemps appelée de ce nom un peu féerique par tous ceux auxquels j’étais chère. Dans l’intimité, c’était Amande tout court. J’ai eu d’autres noms, et j’en ai d’autres. Pour Philippe Berthelot, j’étais « la panthère noire ». Pour Judith Cladel, je suis « Hyacinthe ». Je fus « Dea » pour Sébastien-Charles Toussaint, et « Tancrède » pour d’autres. À présent, je suis « Mamie ». Mais, je n’ai jamais été, même étant petite, et ne serai jamais Lucie. Seuls les gens qui ne me connaissent pas ou ne me connaissent que très peu, me donnent ce prénom qui ne me fait pas me retourner quand on le dit derrière moi. Il y a mon nom entier, avec son trait d’union, qui est ma signature, ma raison sociale, si l’on veut. Mais, Lucie, je n’aime ni ne connais cela. Les gens du peuple, cependant, d’où qu’ils soient, à commencer par le port de Honfleur, finissent toujours par m’appeler « madame Lucie ».

C’est justement à Honfleur, au temps où j’habitais le Pavillon de la Reine avec mon mari, que se placent d’autres visages, d’autres souvenirs qui me font rire ou m’attendrissent.


Le mariage de Sacha Guitry avec Charlotte Lysès au New Cottage, sur la route de Trouville et à deux pas de Honfleur, voilà qui laisse sa trace dans la mémoire.

Sacha, riant sous cape de la tête que ferait le notaire, Me Bréard (un vieux Normand de la plus fine espèce et qu’on ne déconcertait pas facilement), lui dicta la liste de ce qu’il