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REVUE DES DEUX MONDES.

tant sans y croire : « J’ai trente ans ! J’ai trente ans ! J’ai trente ans !… » Du reste j’avais l’air d’en avoir vingt.


Dès la Kroumirie mon mari s’était mis à me photographier. Portraits à cheval, à chameau, silhouettes sous les chênes-lièges ou dans le Sahara, profils détachés sur des villes blanches ou bien entourés de figures arabes, c’est à cette collection, je puis l’affirmer, que je dus, bien avant mes romans, le commencement de ma notoriété. Les revues et magazines, quand le moment vint de les leur donner, se disputèrent ces images, en leur temps très nouvelles, d’une Parisienne partie si loin. J’envoyais au Gil Blas, de temps à autre, mes premiers essais d’articles (on dirait aujourd’hui reportages), et la curiosité commençait à s’animer autour de mon nom, — ainsi que pas mal de légendes.

Ce fut à Tunis que je reçus les statuts du Prix Vie heureuse (depuis Prix Fémina) et que, par correspondance, je votai pour la première fois. Myriam Harry, notre élue, eut l’étrenne de ce prix. Elle devait plus tard faire partie du comité qui l’avait si justement couronnée.


RETOUR À PARIS


De retour à Paris, nous nous installons, cette fois, à l’hôtel d’Orsay. La littérature, après tant de sable arabe, reprend sa place, et, même, pour ce qui me regarde, grandit subitement en importance.

Le Journal a choisi comme directeur littéraire Catulle Mendès, qui m’écrit un matin, demandant des contes.

Des contes ?… Je ne saurai jamais faire ça ! J’essaie, pourtant, et donne, après la moitié d’une nuit et une matinée de travail, la Dernière Sirène, qui paraît avec mon portrait le jour suivant. Et, tout de suite, protestations violentes près de la direction, et, pour moi, lettres anonymes. Mais il faut continuer. Catulle Mendès exige de ma part un conte par semaine. Mon mari me pousse. Je me remets au travail, gênée par la prose à laquelle je ne suis pas encore habituée, les vers seuls étant, quand j’écris, ma langue naturelle.

Ces contes, hélas ! restent si proches de la poésie que les abonnés, révoltés, se désabonnent « par vingt-cinq à la