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SOUVENIRS LITTÉRAIRES.

parlé, je souhaitais presque ce mal de mer dont l’idée, pourtant, m’épouvantait.

Quand notre bateau se détacha de Marseille, je connus le déchirement spécial tant de fois retrouvé depuis, dans tant de ports de mer, et que semble clamer aux quatre horizons le cri tragique de la sirène.

Voir son pays s’éloigner lentement, puis, à la longue, disparaître, on ne s’habitue jamais à cet escamotage. Tous les liens qui vous attachent à la terre dont on se sépare semblent s’étirer douloureusement à mesure que la distance augmente, jusqu’à ce qu’en fin la brisure soit chose faite, intenses minutes où l’on vit plus fort que dans n’importe quels autres moments.


À peine débarqués à Tunis, prenant juste le temps de déposer nos bagages au Tunisia-Palace, mon mari, sans attendre, m’emmena du côté de la ville arabe. Ainsi fit-il dans tous nos voyages.

Assise avec lui sur un banc de ce café maure plein d’hommes en robes de couleurs tendres et turbans blancs et portant une fleur à l’oreille, je me pinçais, comme on dit, pour voir si c’était vrai. Je n’avais jamais eu l’occasion d’entendre J.-C. Mardrus parler la langue des Mille et une nuits. Je croyais vivre un des contes de Scheherazade. Ce fut à force d’écouter mon compagnon converser en arabe, dans ce dialecte égyptien qu’admiraient tant les musulmans de l’Afrique du Nord, que je commençai moi-même, au bout de quelques mois, à pouvoir dire et comprendre un ou deux mots.

Simple adaptation d’une oreille musicienne, d’une glotte complaisante qui sait imiter le chant du coq et de la tourterelle, le ronronnement du chat et bien d’autres cris de la nature. Plus tard s’y ajouta grammaire, évidemment. Quoi qu’il en soit, les Orientaux qui ne savent pas qui je suis ne veulent pas croire, en m’entendant parler l’arabe, que je ne sois pas des leurs.


Je ne puis songer, dans ces mémoires, à rapporter tout ce qu’en Islam j’ai vu, compris, appris. Il y faudrait un volume entier, — que peut-être, un jour, j’écrirai.

Cette considérable documentation, pour parler moderne, acquise en sept ans que colorèrent de continuels séjours et