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SOUVENIRS LITTÉRAIRES.

immense aquarelle) ; avec Antonio de la Gandara ; avec Auguste Rodin, et tant d’autres encore dont le souvenir m’échappe.

La comtesse de Noailles vint nous y voir, accompagnée de sa sœur Caraman-Chimay.

— Mon mariage, en nous séparant, a été le drame passionnel de notre vie !… disait-elle en regardant cette sœur, sa principale fanatique.

Elle s’amusa du jardin, de la volière, de la chèvre. Une rose, longuement travaillée par mon mari, finissait par entrer dans son cabinet.

— Il a une rose qui vient le retrouver ! Il est tout de même trop touchant !

Finalement, elle s’invita pour un dîner à faire le lendemain sur la berge, dans une de ces extraordinaires guinguettes où nous allions parfois, et, naturellement, ne vint pas.

Elle n’avait pas pris la peine de se décommander. À de tels manquements tout Paris était habitué, mais mon mari, lui, ne pouvait les admettre, ce qui coupa court à nos relations.

Je devais, plusieurs années après, rencontrer la géniale poétesse soit au prix Fémina, soit aux Annales, soit ailleurs, et son sourire cordial, ses propos, me montrèrent qu’elle avait oublié ses torts.

Nous vîmes revenir, à la Roseraie, Fernand Gregh, M. Jeanniot, tous nos amis. J’y entendis André Gide interpréter au piano Chopin, avec cet art frémissant qui n’appartient qu’à lui seul.


DEUX EXCENTRIQUES


À la Roseraie, Alfred Jarry dîna plusieurs fois avec nous. Je n’ai jamais oublié la visite que nous lui fîmes rue Cassette.

Nous nous informons près de la concierge.

— C’est au deuxième et demi !

— Ça, dis-je, c’est du Jarry tout pur ! Il a dressé la bonne femme à répondre ça.

Pas du tout !

Son logis était constitué par la moitié d’un appartement qu’on avait coupé en deux… dans le sens horizontal, de sorte qu’il fallait s’y introduire presque en se baissant. Je m’expli-