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SOUVENIRS LITTÉRAIRES.

rares, plus des oies géantes de Toulouse ; et pour contrebalancer tant de plume, une chèvre, puis une gazelle, finirent par s’y adjoindre, sans parler de lapins angora.

Bien souvent, en train d’écrire, je voyais mon mari, revenant du centre de Paris, entrer en trombe dans mon cabinet de travail. Tout joyeux et sans aucune explication, il posait, sur l’encre fraîche de mon poème, quelques œufs d’une espèce nouvelle ou bien une poignée de poussins, achetés une heure plus tôt, qu’il tirait tout piaillants de ses poches avec des rires olympiens.

Il eut deux coqs : Ali et Baba, auxquels il enseignait à donner la patte, et quantité de petits poulets nés dans je ne sais quelle mère-à-lampe ou à siphon, et qui le suivaient partout dans le jardin, le considérant nécessairement comme leur mère poule.

Mais avant l’entrée en scène de tout ce monde-là, quand il ne s’agissait encore que des roses, l’ère de l’animalité commença par la découverte, un soir, sous nos lits jumeaux, et sans que jamais nous ayons su de quel mystère il sortait, d’un matou noir et blanc qui devint, dès le lendemain de son intrusion chez nous, le dieu lare de la maison.

Ce chat fut célèbre en son temps dans le monde littéraire. Demi-angora, le nez rose, un loup d’Arlequin posé sur son visage de lait, il représenta pour nous bien des heures d’amusement, de tendresse et d’intérêt. Il a figuré parmi les vers d’Horizons, volume écrit à la Roseraie ; et Colette, dans une des Claudine, cita ce poème dédié à la Kathèdre, nom absurde comme tous ceux dont on finit toujours par baptiser les chats.

La Kathèdre, lors de notre grand départ pour les pays arabes, fut donnée aux deux poètes, nos amis, Émile Cottinet et le prince Colonna. Douillettement, elle acheva chez eux sa vie fort longue, non sans les martyriser par toutes sortes d’exigences qu’ils considéraient, naturellement, comme des ordres.


Une nouvelle servante nommée Aline, douce et dévouée créature à laquelle je m’attachai très vite, avait heureusement remplacé plusieurs échantillons peu réussis.

Chargée de faire taire les oies géantes quand elles criaient trop fort, elle allait docilement couper de l’herbe sur les fortifs à proximité, pour la donner à ces bêtes bruyantes, qui, fina-