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REVUE DES DEUX MONDES.

À la suite d’incidents cocasses qui mirent J.-C. Mardrus aux prises avec notre propriétaire de la rue Raynouard, nous quittâmes Passy pour un nouveau domicile, la Roseraie, à Auteuil, tout près de la Seine, à deux pas du Point-du-Jour.

Située entre les fortifications qui longent le boulevard et cette rue à hauts immeubles, une jolie petite maison dans un joli petit jardin, voilà la Roseraie. La maison était claire et gaie ; le jardin, plein de rosiers, évidemment, comportait une pelouse, une tonnelle et un poulailler.

À peine emménagés dans cette nouvelle retraite, mon mari tourna toute son attention vers les roses. Parallèlement à sa littérature, s’il lui arrive de s’intéresser à quelque objet imprévu, c’est de toute son âme qu’il s’y donne. Une seule chose à la fois ; mais cette chose semble devenir l’unique souci de son existence.

Je l’ai vu, dans ce jardin, passer des journées entières au milieu de ses rosiers. Avec une impérieuse patience il pouvait, pendant plus d’une heure, s’acharner à tordre un à un, sans les froisser, les pétales de telle rose qu’il prétendait diriger en sens contraire de la forme imposée par la nature ; et cela simplement parce qu’il jugeait ainsi la rose mieux réussie. D’autres fois, quand une averse tombait trop fort, recevant la pluie sur le dos, il s’absorbait dans la fabrication d’un petit toit au-dessus de tel bouton à peine ouvert, l’un de ses préférés, et qu’il craignait de voir abîmé par la bourrasque.

Il devait, à la fin, devenir le savant rosiériste qu’il est, comme, à la suite d’expériences de cet ordre doublées de l’étude d’ouvrages spéciaux, il a pu, dans d’autres domaines, s’y entendre mieux que personne en céramique, en pierres précieuses, en photographie, en ameublements anciens.

Quand la fougue roses commença de se calmer, une identique constance, à la Roseraie, le dirigea vers l’élevage des volailles. Il peupla d’espèces choisies le poulailler, puis en vint à réussir de précieuses couvées pour lesquelles il se procurait tout ce qu’on faisait de plus perfectionné comme couveuses artificielles, dispositifs qui portent les noms inquiétants de mère-à-lampe, mère-à-siphon, etc.

Ce poulailler, du reste, devait s’agrandir à la longue et devenir une volière considérable où figurèrent des faisans dorés et argentés, des perdrix, toutes sortes de gallinacés