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REVUE DES DEUX MONDES.

Cependant la griserie de Provins ne m’empêchait pas, à mon insu, je dois l’avouer, d’enregistrer mille traits de la vie provinciale, et je m’en aperçus bien des années plus tard, le moment venu d’écrire mon roman Comme tout le monde, sorti presque tout entier de ce séjour chez ma sœur.


J’avais maintenant près de dix-huit ans. Je ne démêle pas pour quelle raison je fus, ainsi que ma sœur Georgina, cette forte en thème, dirigée vers une nouvelle maison d’éducation.

Ce fut l’Institut normal catholique, rue Jacob, c’est-à-dire ce qui existe de plus intelligent dans cet ordre d’établissements. J’ai essayé d’en donner l’atmosphère dans mon roman le Pain blanc, et mes anciennes directrices ont bien voulu me dire que j’y avais réussi.

Je travaillais âprement en vue d’un examen. Un peu de mondanité vint se mettre en travers. À une messe de mariage, nous avions retrouvé « Gras à lard », un ancien camarade de jeux. Lui aussi faisait des vers. Il me communiqua ses essais, je lui communiquai quelques-uns des miens.

Peu démonstratif, sérieux, concentré, ce grand et mince garçon me faisait un peu froid ; mais c’était quand même gentil de trouver quelqu’un avec qui parler poésie. Il m’était agréable de le voir, sans plus.

Ses parents, le comte et la comtesse de B…, donnaient dans leur salon des soirées de comédie. Il me fut demandé d’y jouer dans l’Ingénue de Meilhac et Halévy. Répétitions, mise en scène, c’était beaucoup d’amusement, tout à coup.

L’Ingénue fut un très grand succès. Je me sentais parfaitement à l’aise dans mon rôle, et assez surprise de l’être, car je n’avais pas encore vaincu ma timidité maladive.


Je me souviens d’une arrivée au manoir de Vasouÿ, près de Honfleur, propriété qui succédait au Breuil où s’était écoulée ma seconde enfance. Fut-ce la première arrivée ? Il se peut que je confonde quelquefois les dates. Tout cela est déjà si loin !

Je venais d’être reçue à mon examen. Pour le passer, j’étais restée seule à Paris avec mon père et l’une de mes sœurs, pendant quelques jours.

L’allée qui conduisait à la maison tournait dans la verdure