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MES MÉMOIRES



SOUVENIRS LITTÉRAIRES

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PREMIERS VERS


Cette année-là, je fus invitée à passer un mois à Provins chez ma sœur Marguerite. Il n’y a pas si longtemps que de très vieilles gens de Provins me rappelaient ce temps lointain. Ils riaient encore en se souvenant m’avoir vue, en promenade sur les routes avec la bonne de ma sœur, et ne me sachant pas observée, grimper un talus et le redescendre sur mes reins, comme font les galopins au sortir de l’école.

À Provins m’attendait un imprévisible conte bleu. Menée par ma sœur dans la « société », je ne sais comment il m’arriva d’y réciter un des poèmes que je composais alors, et, dans la même réunion, de jouer un prélude de Chopin. Ce fut un engouement tel que les gens s’arrachaient positivement la jeune artiste qui les charmait et les étonnait. La plus charmée et la plus étonnée était certainement moi-même.

Ma sœur, qui faisait des vers aussi, parfois, avait composé, pour une soirée donnée chez elle, une sorte de pièce à deux personnages et en alexandrins, où je figurais un lotus amoureux d’une étoile (l’étoile, c’était elle). Elle était vêtue de blanc, moi d’une robe chinoise de tous les bleus.

Avoir un tel succès, moi, l’ancienne enfant simple ? J’aurais voulu qu’une si belle vie durât toujours.


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