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SOUVENIRS LITTÉRAIRES.

les Enesco, les Cantacuzène, les Lahovary et combien d’autres, célèbres ou inconnus, j’appris à grandement apprécier toute une colonie roumaine plus cultivée que les plus cultivés Français.

— Vous n’êtes pas assez cabotine ! me dit un jour l’un de ceux-là. Vous avez l’air d’un bonbon rose, avec votre teint. Mais vous avez vos yeux. Vous devriez porter une lourde frange sur les sourcils, et, mince comme vous l’êtes, des robes de style faites exprès pour vous.

Le vieux Lahovary, furieux de mes vers libres et des mots recherchés de certains de mes poèmes, répétait qu’il fallait m’élever une statue de la main du bourreau.


Un après-midi, Marie Bengesco vint chez nous, entra dans ma chambre, et dit :

— Je vous invite pour mercredi à un dîner qui vous amusera peut-être. J’ai prié aussi Hélène Vacaresco et quelqu’un dont on parle beaucoup en ce moment, le docteur Mardrus, traducteur des Mille et une nuits. Viendrez-vous ?

— Mais certainement, dis-je.

Le soir de ce dîner, arrivée en avance ainsi qu’Hélène Vacaresco, dans la chambre à coucher de notre hôtesse, fort peu éclairée, nous ôtions nos chapeaux. C’était au printemps. Un premier quartier de lune illustrait le ciel qu’on voyait en perspective jusqu’au bout de la rue de Lille. Je le fis remarquer à Hélène Vacaresco.

— Eh bien ! dit-elle, vous allez tourner trois fois autour de moi, vous embrasserez cette médaille que je porte au cou, et, d’ici peu, vous serez mariée.

— Je n’y tiens pas ! m’écriai-je.

— Ça ne fait rien. Allez-y tout de même !

Et j’y allai.

— On sonne, nous cria du salon Marie Bengesco. Le voilà ! Venez !

Dix jours après j’étais mariée avec le docteur Mardrus.


PREMIER VOLUME


Le premier souci de mon mari, dès le lendemain des noces, avait été de choisir les meilleurs de mes poèmes de jeune fille, afin de les faire éditer le plus vite possible, soin