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REVUE DES DEUX MONDES.

Étienne aménagée en musée. Cachant ma timidité sous des airs fanfarons, j’eus le courage nécessaire pour lire ce que j’avais écrit sans paraître le moins du monde déconcertée. Toute la ville était présente. Je vis même, et ce fut la première et la dernière fois, Alphonse Allais, blond et mince homme du Nord, qui vint me féliciter, tout en me disant qu’il était timide comme la violette.

Mon père, cela va de soi, ne vint pas m’écouter. Il continuait à détester ces allures littéraires, mais se bornait à hausser les épaules.

C’est également à l’occasion de cette conférence que je vis pour la première fois Sacha Guitry. Son père, qui nous succédait au Breuil, l’envoyait me porter une lettre en réponse à celle où la ville, par mon intermédiaire, lui demandait son concours pour la fête du Vieux Honfleur. Il s’excusait de ne pouvoir venir, un mot fort courtois. Sacha, devant moi, le remit à la domestique. Il avait quinze ans à peu près, et le visage d’une belle demoiselle.


Peu après cette conférence, nous rentrâmes à Paris. Les aînées n’étant plus là, j’eus enfin une chambre à moi seule, avec une table pour écrire et une armoire pour y ranger mes papiers. J’y veillais à mon gré, griffonnant des poèmes sombres. À défaut de mourir, j’étais maintenant prête à vivre n’importe quoi, puisque je ne parvenais pas à croire. J’errais, dans la journée, seule dans Paris comme au bord de l’estuaire, cherchant à quoi me raccrocher. Je retournai dans les thés poétiques, aussi chez Mme de Heredia, dans la loge de Sarah Bernhardt ; je me mis à dessiner et colorier des affiches, que je signais Améthys, comme mes vers, pseudonyme dont la couleur mauve me plaisait.

Contre tous mes instincts profonds d’ordre et de mesure, je m’efforçais de faire des vers libres, de trouver des mots et des rythmes inusités. Je cherchais, cherchais, désaccordée et la mort dans l’âme.

Une amie de ma sœur aînée, femme d’officier, m’invitait chez elle. Je l’aimais bien, si douce, avec cette petite frimousse qui ne l’empêchait pas d’être mystérieuse. Je m’amusais de son petit garçon, par moi baptisé Mistanflûte.

Chez la mère de Mistanflûte, un soir, je fis la connais-