Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
LE PAIN BLANC

très bien. Même que je couchais dans la chambre de papa et maman.

— C’te blague !… se récrièrent les deux garçons en glapissant comme des voyous.

Jacques poursuivit avec un ricanement :

— Dis donc ! Tu n’es née qu’en 1902, toi, et nous sommes en 1912. Ça te fait quel âge ? Nous avons sept et cinq ans de plus que toi, nous ! Nous savons mieux que toi, peut-être ! Qu’est-ce que tu étais à cette époque-là ?… Un pauvre gluant ! Tandis que nous, nous étions déjà grands. Il faut croire qu’on était en pleine purée. Car ton berceau, c’était le tiroir du bas de la commode, je te le répète. S’pas, Max ?

— Elle est si bête ;… dit Max. Elle ne te croira pas.

— Je voudrais voir ça !… chantonna Jacques en marchant droit sur sa petite sœur.

Elle avait un peu peur d’eux, quelquefois. Elle crut préférable de se taire. Mais les deux adolescents, désœuvrés :

— Tiens ! Pour te punir, nous allons t’y recoucher, dans ton tiroir !

— Oh ! non !… Max !… Jacques !… Pouce !… Je crois tout ! Je crois tout.

Ils n’y parvinrent pas tout de suite. Elle criait et riait en se débattant, car ils la chatouillaient pour en venir à bout.

Quand elle fut, tête en bas, jambes en l’air, dans le tiroir, ils firent mine de le refermer. Le grand salon encombré de meubles qu’on venait d’emménager, plein de papiers, de paille et de ficelles traînant sur le parquet, se remplit du tapage mené près de cette commode, vieux souvenir de famille, un des rares meubles gardés parmi les nouveaux.

Quel témoin, cette commode ! Elle avait connu l’époque de la grande bohème. Alors, au logis trop étroit, pas encore d’argent, mais déjà des scènes.

Élysée pouvait remonter aussi loin que possible dans le grand au-delà de la première enfance, elle retrouvait toujours les mêmes drames. C’est pourquoi ses idées sur la vie n’avaient jamais varié.

Une mère, ça crie après un père. Un père, c’est gentil, doux, espèce de grand camarade à barbe qu’on ne voit pas assez sou-