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LE PAIN BLANC

Élysée était devenue blême.

— Quoi ? Quoi, maman ?… Papa ?… Jacques ?… Jacques est blessé !

Le petit rire faux éclata.

— Jacques est à Paris dans des bureaux. Ce n’est pas ça ! Ton père !…

Elle ne laissa pas à la petite le temps de s’épouvanter.

— Ton père a une maîtresse ! Je le sais de source sûre ! La majore de son ambulance, naturellement ! Je l’avais dit ! Je l’avais dit !… C’est épouvantable !

Elle se laissa tomber assise, la figure parcourue de ces tics que l’enfant connaissait trop bien.

La nouvelle que venait lui annoncer sa mère était-elle donc si surprenante ?… Depuis tant d’années il n’était question que des cocottes du docteur Arnaud.

La malheureuse jalouse eut un petit mot qui révéla toute sa mauvaise foi précédente.

— Cette fois, c’est vrai ! murmura-t-elle.

Et, brusquement, elle se mit à sangloter.

Élysée, consternée, ne savait que faire. Elle s’approcha gauchement de sa mère, et lui toucha l’épaule. Penchée vers elle avec plus de peur que de tendresse, elle la regardait pleurer, la figure dans les mains. Et, sous le chapeau chaviré, saisie, elle constata que les cheveux décoiffés étaient devenus gris.

— Maman !… Maman !…

Elle essayait de s’exciter à la pitié. Elle se sentait trop petite, trop détachée de son foyer pour prendre vraiment part à ce drame pareil à tant d’autres, imaginaires, inutiles, dont sa première enfance avait si monstrueusement souffert.

Enracinée ailleurs dans son bien-être moral, aimée, aimant, livrée tout entière aux consciences étrangères qui prenaient si bien soin de sa petite âme, qu’avait-elle à dire à cette créature effondrée qui était sa mère et qui, peut-être, venait instinctivement chercher protection près d’elle ?

— Voyons, maman ! Pense que papa pourrait être tué, que Jacques pourrait être au front… Pense à tout ce qui arrive, aux ruines, aux deuils, aux horreurs… Pense qu’il y a la guerre, maman !