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LE PAIN BLANC

restent, Élise Arnaud envoie lettres sur lettres sans obtenir de réponse.

Elle passa, dans le parc magnifique et désert, de longues journées anxieuses, vides, désemparées. Les nouvelles rapides du commencement des hostilités se succédaient. Il y avait un coup de théâtre par jour. Redevenue toute petite parmi tant de tragiques nouveautés, l’enfant croyait assister de loin à la fin du monde. Et c’était, en effet, la fin d’un monde, mais personne encore ne pouvait s’en douter.

À la rentrée des classes, elle put enfin respirer mieux. Plus de la moitié des élèves manquait. Les cours avaient pris le ton patriotique. On étudiait la guerre de soixante-dix ; on suivait sur les cartes d’état-major la marche des armées de la République ; pendant une heure, tous les jours, les plus grandes apprenaient à faire des pansements, et le reste.

Une lettre de Mme Arnaud vint enfin. Elle était restée à Bordeaux avec ses fils. Sa correspondance avait dû s’égarer. Elle avait écrit déjà plusieurs fois. La zone où se trouvait le pensionnat ne redoutait rien de la guerre. Élysée n’avait qu’à rester où elle était.

Le retour tardif de Mlle Levieux lui rendit enfin son âme. La fièvre du travail la reprit. La catastrophe universelle s’organisait. La vie des tranchées commençait. L’hiver allait venir. Tout le pensionnat s’était mis à tricoter des passe-montagne.

Le temps passait, laborieux, assombri par la guerre. Ce fut au commencement de décembre 1915 qu’Élysée reçut de sa mère la nouvelle que son frère Jacques partait aux armées. Sans étendre aucunement sur ses angoisses maternelles, la détraquée annonçait avec de nombreux commentaires que le docteur Ar-