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LE PAIN BLANC

Et quand, pressée, Mlle Hachegarde s’en fut allée :

— Nous allons passer de l’autre côté, Mademoiselle, si vous voulez bien. C’est que j’ai beaucoup de raccommodage à faire…

C’était une salle à manger grande comme ça. La table s’encombrait de couture. Assise en face de la sympathique maman, Élysée la regarda mettre son dé, enfiler son aiguille.

— Ma fille m’a dit !… Vous faites beaucoup de musique, mademoiselle. C’est encore une rareté dans votre milieu. On est si occupé quand on est riche !

Mlle Hachegarde n’avait donc rien raconté. Pendant une seconde, Élysée éprouva la volupté d’être, encore une jeune fille fortunée. Elle s’en voulait de ce sentiment vaniteux et mesquin.

— Nous autres, continuait de sa voix flûtée la petite bonne femme, notre richesse, notre trésor, c’est la musique. Ce n’est pas seulement le gagne-pain, vous savez ! Ou du moins c’est un gagne-pain de qualité.

Les yeux baissés sur le bas qu’elle reprisait :

— Alice et Jeannette jouent l’une du violon, l’autre du violoncelle. Naturellement, elles ne sont pas de la force de l’aînée, mais elles ont déjà des élèves, quoique continuant leurs études. Oh ! des élèves hautes comme des bottes, vous pensez ! Et Marie est organiste à l’église du quartier.

Les larges yeux gris quittèrent un instant la couture pour se lever au ciel, tandis qu’un long soupir s’exhalait.

— Ah !… bien sûr !… Sa vraie place serait à Notre-Dame. C’est un tel génie !

« Qui donc est cette Marie ?… se disait Élysée. Encore une sœur de Mlle Hachegarde, c’est certain. »

Ce petit bavardage la charmait. Il y avait du pittoresque dans cette mère inattendue qui disait tout haut ce qu’elle pensait, sans rien expliquer. Jamais l’orpheline n’avait encore eu l’occasion de rencontrer une personne comme celle-là.

— Les temps sont durs, Mademoiselle. Si Marie pouvait donner des leçons de fugue et de contre-point ou des leçons d’orchestration ! Quand vous rencontrerez des amateurs parmi vos millionnaires, pensez à nous… Je dis nous. Mais moi je suis retirée depuis longtemps du mouvement. Je ne suis plus qu’une