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LE PAIN BLANC

Devant la petite figure déconfite, il eut un sourire amusé, bonhomme.

— Vous vous y intéressez donc tant que ça, à cette jeune fille ?… Allons ! J’essaierai tout de même de trouver quelque chose pour elle, je vous le promets formellement. Mais ça ne veut pas dire que je réussirai.

— Oh ! merci, monsieur !… dit Élysée.

Elle se levait pour s’en aller. Son long regard croisé brillait de fièvre. Pour mieux remercier le monsieur, l’encourager dans son bon mouvement, elle le dévisageait, gentille, un peu timide.

Il s’était levé comme elle. Il se rapprocha, lui prit la main.

Elle vit son visage mollasse changer d’expression.

— Vous en avez des yeux !… fit-il presque bas, en gardant sa main dans les siennes.

La petite tressaillit. Il lui revint que ses camarades de pension lui disaient toujours : « Ce n’est pas votre faute… Mais vous avez l’air de faire de l’œil aux chaises… » Et elle eut la révélation du danger que court une jeune fille, quand elle est trop jolie, à visiter toute seule des hommes grisonnants. Elle se dégagea, rougissante, avec la peur de froisser un protecteur possible, et le dégoût de deviner le désir dans ses prunelles allumées.

« Qu’est-ce qui m’arriverait, si j’étais secrétaire chez des gens comme ça !… » se disait-elle en rentrant le cœur serré.

Mauvaise journée encore une fois.

Il y en eut d’autres.

Ce fut en rentrant d’une consternante séance qu’il lui fallut trouver la réponse de ses frères à son long télégramme. Elle n’était pas longue :

« Nous avons chacun notre grue avec qui nous vivons maritalement. Si ça te dit quelque chose, tu pourras tenir notre maison. Mais je crois que tes grands airs de la boîte Lami ne plairaient pas beaucoup à nos femmes. Si tu es dans la mouise, adresse-toi donc à ton beau monde. Nous profitons de l’occasion pour te renvoyer des affaires à toi qui traînent dans nos armoires et qui t’appartiennent de droit. Ça te fera bien plaisir de les retrouver. »