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la mère et le fils

« Maman ne l’a jamais admis. Elle a fait de moi le faux-semblant, le petit qu’on travestit. Mon nom de baptême, auquel je suis si bien habitué, ne m’étonne que depuis que j’ai saisi : Irénée !

« Cela n’a pas empêché mes gestes, depuis ma naissance, d’être une offense. Il y a des garçons doux comme des demoiselles. J’aurais dû en être, mais je ne suis pas doux du tout. J’étais déjà casse-cou dans mes robes de fille, avec mes longues boucles gardées jusqu’à onze ans, et d’une grossièreté dont, sans le savoir, je faisais tout de suite ma revanche. D’instinct, je n’ai pas marché dans la combinaison. Maman n’a pas eu l’enfant qu’elle voulait ni moi la mère que je voulais.

« Maintenant !… Est-ce que j’ai pour de bon, maintenant, l’absurde et terrible envie de prendre la main qui pend ? Je voudrais… Est-ce que je voudrais vraiment ?… C’est sans doute parce que je vais partir et que je ne la reverrai plus de longtemps…

« Elle s’est rendormie. Elle ne s’en apercevrait peut-être pas… Mais si je la réveille encore, elle dira : « Qu’est-ce que tu as ? » Combien de fois depuis que je suis né ? « Qu’est-ce que tu as ?… À quoi penses-tu ? » Elle ne s’est pas encore aperçue que je ne répondais jamais. »

— Eh bien !… Qu’est-ce qu’il y a encore ? Pourquoi me touches-tu ?… Toujours là ?… Mon pauvre enfant, tu ne pourrais pas aller te coucher ? C’est cruel de me réveiller tout le temps, pour une fois que je dors !

— Maman, je sais bien que c’est cruel ; mais je suis un être impossible, vous l’avez toujours dit. Avant d’aller me recoucher, je voudrais simplement vous demander quelque chose.

— Comme tu choisis bien tes heures !… Qu’est-ce que c’est ?

— Voilà. Si j’avais été d’âge à faire la guerre et si j’avais été tué, moi, au lieu de mes deux frères, m’auriez-vous un peu pleuré tout de même ?

— Quelles idées absurdes, tout à coup, et à une heure