Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
la mère et le fils

L’orchestre, du haut de la tribune, venait d’attaquer le morceau d’ouverture, fantaisie sur le Petit Duc. Le cirque se remplissait avec bruit. Derrière les rideaux de velours bleu, dans les coulisses, tout un carnaval piétinait ; et, dans les écuries, parés de leurs oripeaux, les chevaux s’agaçaient, sentant l’heure de la représentation.

Parmi cette nervosité, la main à la bride de son cheval, impatient, Irénée en costume, longue houppelande, bottes, bonnet de fourrure, se laissait gagner par les battements de cœur.

Il y avait de tout dans son émotion. Espérant voir Johny John, seul visage qui lui fût un peu familier dans cette cohue, en vain le cherchait-il des yeux. Il n’y avait autour de lui que des gens qu’il n’avait jamais vus. Et chacun, âprement, n’était occupé que de soi-même.

Au bout de quelques secondes, le bariolage diminua. Trois pitres multicolores restaient dans un coin à essayer des acrobaties sur le dos les uns des autres. Le speaker des clowns, en habit bleu, livrée spéciale du cirque, parlait à voix basse avec un jeune homme de l’administration. Dans le bar, à deux pas, certains buvaient et riaient.

À peu près seul avec son cheval, Dimitri, cosaque du Don, attendit. Il se disait qu’on le ferait passer vers le milieu de la première partie. Ne sachant encore rien de sa nouvelle carrière, il n’avait pas l’idée de regarder sur cette petite affiche, encadrée comme celle des mairies, où l’ordre des numéros est indiqué.

Il se prépara, non sans amusement, à voir défiler devant lui les numéros qui précéderaient le sien, car le cirque, pour lui, ne cessait pas encore d’être le cirque, c’est-à-dire un lieu magique. Et même là, derrière ces rideaux clos qui, à un