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la mère et le fils

Mâchonnant ses mots en même temps que son éternelle gomme, nasillard et hautain :

— Je viens vous faire travailler moi-même, ce matin, dit Johny John dans sa langue bâtarde. Dick est malade. L’imbécile a trouvé moyen de se faire allonger un bon coup de sabot à la représentation d’hier. Il faudra qu’il soit guéri ce soir. Mais, en attendant, me voilà. Vous avez déjà essayé le revolver ?

— Pas encore !… bondit Irénée, comment voulez-vous ? Il fallait d’abord…

— Vous tirerez aujourd’hui, coupa Johny John. Je l’ai apporté pour ça.

C’était sans réplique. Irénée n’ajouta pas un mot.

Cependant, quand ils entrèrent dans le manège enfin libre, le cheval, aux mains du palefrenier, se cabra subitement. Il avait reconnu le cow-boy. Le palefrenier n’eut que le temps de le ressaisir par la bride. Mais plus Johny John s’avançait près de lui, plus l’animal s’agitait. Il fut dans un tel état d’énervement quand il vit son maître prendre la chambrière qu’Irénée se demanda comment il pourrait jamais, sur cette bête, venir à bout de son numéro. À peine commençait-il, depuis la veille, à l’exécuter proprement. « Ça ne va jamais aller !… » grommela-t-il pour lui-même.

Mais il n’osa pas faire voir son inquiétude.

Il s’approcha du cheval pour l’enfourcher. Comme il passait sa jambe, le cheval se cabra de nouveau.

— Charogne !… cria le petit, en retombant d’aplomb sur la selle, non sans élégance.

Flegmatique, l’Américain :

Dont be nervous ! (Ne soyez pas nerveux !)

Et, disant cela, toujours calme, il allongea sur les jambes du cheval trois ou quatre larges coups de chambrière, ce qui eut pour premier effet de le faire dresser au maximum, puis ruer, puis faire le saut du mouton, puis la tête à queue, le tout sur place, car Irénée le maintenait bien, refrénant le galop forcené que cette bête apeurée avait dans les reins.