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la mère et le fils

Comme il apparaissait à la porte de la cuisine :

— Enfin, vous voilà, M’sieu Irénée ! J’ai une dépêche de nos Messieurs. Ils arrivent cet après-midi. J’aurais pas dû vous le dire, mais vous m’avez fait une douceur, ces jours. Je vous devais bien la pareille. Si vous ne voulez pas les voir, ma foi, ni vu ni connu. Je dirai que je ne sais pas où vous êtes passé.

« Elle m’a vendu !… devina-t-il, mais elle a la loyauté de me prévenir. Comme j’ai bien fait de lui donner ces cent francs ! »

— Écoutez-moi bien, Hortense. Voilà mon dernier repas ici. Vous me donnerez, en plus, un bon morceau de pain pour manger dans le train. J’ai une place à Paris, dans un bureau. Je gagne assez bien ma vie. Tous les mois, je vous enverrai de l’argent pour maman. Vous ne le direz pas à mes oncles et vous continuerez à la soigner ici, chez elle. Il y aura cinquante francs spécialement destinés à payer votre nièce pour l’heure qu’elle passe à son chevet pendant que vous faites les courses. Je ne veux pas qu’elle reste seule une minute. Vous aurez mon adresse poste restante. Vous me donnerez de temps en temps des nouvelles. Moi, je viendrai quand je pourrai, en cachette, pour voir si tout va bien.

Il sortit de sa poche quatre billets de cent francs.

— Voilà, mère Hortense. Prenez ! C’est pour maman et vous, en attendant que j’en renvoie d’autres.

Sans s’attarder à ce qu’elle répondait, il retourna vers sa mère. Elle était éveillée, les yeux dans le vide. Il se pressa pour l’embrasser, ayant hâte d’être loin. Il y eut une espèce de mépris, de la rancune et de la pitié dans son baiser. Les deux joues molles cédèrent tout à tour sous ses lèvres. Il s’en