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la mère et le fils

qu’elle eut ouvert les yeux, montra qu’ils étaient ceux-là mêmes que sa mère avait vus en rêve.

Ayant longtemps cherché quel nom donner à son enfant, Mme Parlemont de Vergne finit par l’appeler Irène, en souvenir de la sirène apparue pendant son sommeil. D’Irène à Sirène, il ne manque qu’une lettre.

Irène de Vergne grandit, belle et séduisante, vraie sirène en effet ; et quand elle eut épousé M. de Charvelles, elle osa révéler qu’elle était poète. Son livre, Roses de Jeunesse, témoigne du talent qui était le sien, comme son grand portrait, actuellement en la possession d’Édouard de Charvelles, son petit-fils, montre à quel point elle dut fasciner ses admirateurs.

Elle mourut à soixante-quinze ans, toujours poète, et, malgré les ravages de l’âge, ayant gardé ses yeux qui lui venaient de l’Inconnu.

Son fils, Pierre de Charvelles, fort laid, à ce qu’on nous dit, eut de son mariage trois enfants, Édouard, Horace et Marie, tous actuellement en vie. Des deux garçons, un seul, Édouard, se maria, mais n’eut pas d’enfants. Mais Marie, qui se destinait au couvent, ayant, sur les supplications de ses parents à demi ruinés, épousé, à vingt-huit ans, le riche filateur Derbos, roturier sans éducation, amoureux d’elle et sur tout de son blason, mit à son tour au monde, contre toute vraisemblance, une petite sirène aux yeux bleus qui ne ressemblait ni à son père ni à sa mère, mais bien à son arrière-grand’mère. Cette nouvelle Irène, du reste, ne vécut pas. On pouvait croire que le rêve de l’aïeule ne reparaîtrait plus jamais dans la famille, quand, après avoir eu deux garçons fort ordinaires qui ne faisaient qu’aggraver son deuil de mère inconsolable, Marie de Charvelles, épouse de M. Derbos, alors qu’elle avait plus de quarante ans, accoucha comme par miracle d’un petit garçon inattendu dont les yeux, pour la troisième fois, étaient, dans un visage différent, ceux mêmes de la sirène. Ne pouvant lui donner le nom prédestiné, sa mère le baptisa Irénée, envers et contre ses fils et son mari qui ne pouvaient admettre ses raisons.