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la mère et le fils

La brute enfantine vivait encore tout entière en lui, nonobstant sa sagacité d’homme mûr, tellement surprenante chez un être aussi fougueux.

Aucune précaution pour cette mère cardiaque à qui son brusque retour pouvait faire tant de mal. Quand on déborde de santé, quand on n’a pas seize ans, quand on n’a jamais été malade, comment imaginer la fragilité d’un être chez lequel la souffrance morale s’est faite physique, un être dont le cœur, de toutes façons, est démoli ?

Il haletait encore de sa course à travers les allées, et aussi parce que l’émotion du retour, le plaisir de faire plaisir lui coupaient le souffle.

Il fit un grand pas vers le lit, de façon à se placer bien en lumière.

— Bonjour, maman !… répéta-t-il en riant.

Puis, surpris, il resta devant elle.

Elle était assise dans son lit, le menton tombé sur la camisole blanche, deux petites nattes grises sur ses épaules, son grand front découvert. Elle regardait son drap avec des yeux absorbés.

— Maman ?…

Il venait de se jeter à genoux pour chercher le regard de cette tête baissée qui ne se relevait pas.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Vous êtes saisie ?… Non… C’est que vous m’en voulez ? Vous ne voulez pas me regarder ? Vous allez me bouder ? Pourquoi ?… Je n’ai rien fait de mal ! Je voulais vous intriguer, mais je ne peux pas. Alors je vous raconterai tout de suite. Ça me fait un plaisir de vous revoir, vous ne pouvez pas vous le figurer ! Tenez ! Voilà un billet de mille francs et trois billets de cent. C’est pour vous ! Je les ai gagnés !

Ils étaient à portée, dans sa poche, ces billets. Depuis le temps qu’il préparait son coup de théâtre !

Il chercha l’une des mains posées sur le lit, ouvrit les doigts sans résistance, y glissa les quatre papiers défraîchis. Puis il renversa la tête pour que ses yeux fussent de force dans ceux de sa mère. La raillerie oubliée, il souriait, d’un beau