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la mère et le fils

Il sortit du salon sur les talons de la cuisinière, heureux d’être tombé dans une maison où l’affection semblait régner entre maîtres et domestiques.

Revenus dans la cuisine, Albertine commença par lui offrir une chaise avec l’affabilité que, dans tous les mondes, on réserve aux inconnus.

— Vous devez être fatigué du voyage, dit-elle. C’est pour ça que je vais prendre un verre avec vous.

Un coup de torchon sur la table, une bouteille de Graves et deux verres sortis du placard lui donnèrent l’occasion de montrer qu’elle avait de belles manières. Ce fut, du reste, sa dernière manifestation protocolaire, car, dès qu’elle fut assise :

— Qu’est-ce qu’elle vous donne comme gages ? demanda-t-elle sans chercher ses mots.

Il tâcha de prendre tout de suite le ton. Et, bien qu’une si brusque curiosité de la part d’une servante attachée à la maison comme celle-ci l’était lui parut cadrer mal avec l’attitude de tout à l’heure :

— Deux cents !… répondit-il négligemment.

Un rire fit apparaître sous la moustache tout un jeu de dents gâtées.

— À la bonne heure !… s’esclaffait la fille. Ils en ont, n’ayez crainte ! Ils peuvent y aller. C’est rapiat, mais quand ça ne peut pas faire autrement, ça casque. Deux cents francs ! Bientôt autant que moi !… Je vais demander de l’augmentation dans huit jours.

Il la regardait fixement. Elle ne s’aperçut pas de son silence.

— Moi, poursuivit-elle, excitée, j’ai toujours été trop bête. On a l’honnêteté dans le sang, il n’y a pas d’erreur. Je ne me suis jamais fait beaucoup plus de cinq francs par jour dans mes places. Il y en a qui en feraient bien plus. C’est déjà bien assez d’être chez les autres. Et puis ces gens-là…

— Ce ne sont pas de bons maîtres ?… interrogea-t-il.