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la mère et le fils

Mme Derbos m’a dit que c’était deux cents francs. C’est ça qui m’a tenté.

— Deux cents francs ?… Mais vous ne savez pas du tout servir…

— Oh ! ce n’est pas bien difficile, madame !

— Deux cents francs, surtout étant donné que je vous habillerai complètement…

Il esquissa le geste de se retirer. Elle se dépêcha de dire :

— Bon !… bon !… Si ce sont vos conditions…

Puis :

— Qu’est-ce que vous faisiez jusqu’ici ?

C’était le second battement de cœur prévu.

— Je faisais un peu de tout, madame. Du jardinage, du ménage… Je soignais les chevaux… Mme Derbos m’employait à tout.

— Bien… Bien… Et… il y a longtemps que vos parents sont morts ?

— Il y a trois ans que mon père est parti, et ma mère…

Il s’étrangla pour achever :

— …est morte cette année.

Un instant elle plongea dans le gouffre bleu des yeux largement ouverts sur un rêve.

— Pauvre garçon… murmura-t-elle, gênée.

Il rectifia son attitude. Sa voix n’hésita qu’une seconde pour articuler la formule jamais prononcée encore. Il savait qu’en parlant à quelqu’un, pour la première fois de sa vie, à la troisième personne, il entrait du coup dans la domesticité. Ce ne fut qu’un souffle.

— Alors, madame me prend ?

— Mon Dieu… je suis tellement à court. C’est un peu cher, mais j’espère que vous mériterez vos gages. Les renseignements sont excellents… Vous avez l’air d’un garçon sérieux, malgré votre âge !…

Elle n’ajouta pas : « Et votre figure extraordinaire », mais le pensa certainement.

Alors le battement de cœur qui n’était pas venu quand