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la mère et le fils

drai, nous partirons dans la voiture, pour un pays que tu ne connais pas et où il faut que j’aille. Je veux arriver juste à l’aurore. Nous serons revenus à temps pour la représentation de demain soir.

La limousine arrivait dans l’aurore, ainsi qu’il l’avait calculé, juste à ce tournant de route où il entendait descendre.

— Viens, Mamar ! Nous faisons le reste à pied ! L’auto nous attendra là.

C’était la première fois, sans d’ailleurs lui en révéler le sens, qu’il l’emmenait vers les mystères de son enfance.

« Il faut bien que je présente ma femme à maman, en même temps que je lui raconterai mon triomphe ! »

Il souriait d’avance, enfant halluciné.

La maison n’avait pas été vendue, la vieille Hortense, avant de mourir, le lui avait certifié dans toutes ses pauvres lettres reconnaissantes.

Il se voyait déjà devant le lit vide, seul vrai tombeau de la morte adorée. Il ne parlerait pas. Les spectres entendent le silence. Il penserait :

— Vous voyez, maman, c’est ma petite compagne, bien simple, bien douce, qui ne dit jamais rien et qui me laisse la rendre heureuse à ma façon sans me demander mes raisons. Ce n’est pas un reproche, maman bien-aimée. Je sais tout ce que vous souffriez. C’est pour cela que je viens vous dire que, moi aussi, je suis glorieux comme Sacha, plus glorieux que lui même, par d’autres moyens. Je n’ai pas déshonoré mon sang, n’est-ce pas ? Vous pouvez être fière de votre fils, dites maman, maman qui m’aimiez en secret comme je voulais, maman qui étiez devenue si innocente entre vos deux nattes grises, avec vos yeux qui ne regardaient plus rien, depuis qu’ils avaient vu, pour la seconde fois, la lettre, la lettre fatale qui annonce la mort…

Il serra si fort le bras qu’il tenait que Marie Lénin, sur la route, se tourna pour le regarder.

Il pleurait sans le savoir. Elle continua de marcher à son côté, n’osant faire une seule remarque.