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la mère et le fils

Maintenant, sur les basses insistantes de la géniale incantation, le cheval, comme ceux des fantasias orientales, piétine, refréné, si bien mis au point pendant les heures mornes du manège, qu’il semble, ensorcelé par la musique, inventer de lui-même toute cette fougue parfaitement en mesure qui tend et détend ses nerveuses jambes à reflets bleus. L’illusion est d’autant plus complète qu’Irénine ne paraît pas un instant s’occuper de sa monture, sinon pour faire corps avec elle dans un élan de furieuse inspiration. La musique monte, l’étalon se cabre, le petit génie ailé qui l’enfourche va, le serrant entre ses genoux, l’entraîner à sa suite dans l’espace vers lequel il s’élance de tout son torse, les deux bras jetés vers les astres.

Les flamboiements qui rampaient à terre éclatent en hautes flammes qui montent aussi. Tout va disparaître dans les nuées, verticalement aspiré.

Non ! Le cheval retombe. Les flammes redescendent. Une hésitation qui suit la musique se manifeste par des pas, des balancements, des élans commencés qui ne s’achèvent pas. La bête enfin s’affaisse lentement à genoux, le front par terre, le cavalier pend parmi ses voiles tristes.

Mais, à l’orchestre, la rage espagnole recommence. Relevé, le cheval piaffe. Longtemps se déroulent les épisodes de cette chorégraphie incantatoire, mathématiquement adaptée aux notes. Des flots de véhémence montent de la scène où se passe cette espèce de miracle furibond. Ce n’est bientôt plus qu’un tourbillon scandé par des arrêts brusques et repartant « au temps » avec la musique. « Comment est-ce possible ?… » se demandent les spectateurs béants, tant que dure cette démence magnifique. Car ils ne savent plus ce qu’ils voient, tant la rotation est devenue folle.

Et, tout à coup, c’est autre chose. Cabrant à droite, cabrant à gauche, cabrant de tous les côtés à la fois, la bête debout s’est changée en une chimère noire qui oscille dans le feu, selon la plus voluptueuse cadence. La fin se pressent dans son accélération insensée. Des quatre pieds, voici que l’animal bondit sur place, vingt fois, sur le même accord, qui, vingt