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la mère et le fils

cinq ans. Voilà cinq ans que je l’étudie en essayant de nier. La mort même de mon mari ne m’a pas distraite d’une si ardente observation. Hélas ! cet enfant est le fils de Sacha Obronine.

Les yeux de la Sirène, ma chérie, n’étaient là que pour mieux nous tromper. Le petit Irénée a tout de son père. Je bénis le ciel que mon pauvre Paul soit mort avant d’avoir eu le temps de s’apercevoir des preuves, qui, dans ce petit, crient à haute voix l’adultère.

Car ce n’est pas seulement à cause de la structure de son visage, qui peu à peu reproduit, à travers le masque d’Irène de Charvelles, les pommettes hautes, signe de la race étrangère. Ce n’est pas à cause de son nez court où demeure le souvenir atténué du type kalmouk. Ce n’est pas à cause de cette teinte foncée, marque orientale, apparaissant lentement autour de ses yeux bleus qui devraient être noirs. Tout cela échappera à d’autres regards que les miens. Ce que je constate dans le domaine moral est bien plus terrifiant. Cet enfant a tout de son père, vous dis-je ; ses bizarreries, ses sautes d’humeur, sa perspicacité formidable, déjà présente chez un être si petit, tout, jusqu’à son amour de la musique (il pleure chaque fois que, pour l’éprouver, je remets mes mains sur mon piano à jamais fermé), tout jusqu’à ses instincts anarchiques, tout jusqu’à ses sanglots passionnés, jusqu’à sa tyrannie d’amoureux jaloux des deux autres, tout jusqu’à son goût des chevaux, qui lui vient en droite ligne des steppes où les ancêtres du malheureux Sacha, comme il me l’avait souvent raconté, galopaient sur des bêtes déchaînées.

Je vous ai dit, Marguerite, que mon calvaire ne faisait que commencer. Ah ! que Dieu punit bien ceux qui lui manquent !

Cet enfant idolâtré, cet enfant préféré, je n’ose plus l’aimer. Il me semble que je léserais les deux autres, qui ont tous les droits, que je leur porterais malheur. Il me semble que je continuerais l’adultère. Le penchant que j’ai pour lui me paraît coupable comme la perpétuation de cet amour que, sans le savoir, j’avais nourri dans mon cœur pour le musicien