Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.
144
la mère et le fils

Une pauvre petite fille était à lui. Ce n’était pas une possession magnifique ; mais il n’avait pas besoin d’une possession magnifique. Il avait besoin d’absolu. Marie Lénin était l’absolu. Jamais les ladies à venir de sa carrière commencée ne lui donneraient, avec toutes leurs coquetteries autoritaires, avec toute leur effronterie de beautés millionnaires, ce que lui donnait la simple enfant de saltimbanque pour laquelle il était tout.

En quittant Londres, le cirque J.-J. retournait en France. Il y aurait une soirée à Calais, puis d’autres soirées uniques dans les villes par lesquelles on passerait en se dirigeant vers Bordeaux. À Bordeaux, il y aurait quinze jours de représentation. Ensuite, en s’arrêtant encore en route, la troupe gagnerait tout doucement l’Espagne.

Ils arrivaient enfin à la frontière d’Espagne quand une dépêche, retardée depuis huit jours par les déplacements continuels, parvint entre les mains d’Irénée. Elle était de la vieille Hortense, et annonçait la mort de maman.

Il en était à cette première période où les deuils subits vous laissent un cœur de glace, parce qu’on n’a pas encore pu admettre la nouvelle.

Il alla trouver Johny John dans son bel hôtel. Il n’était pas midi. Le télégramme venait d’arriver.

L’Américain prenait un cocktail en face de la mer, dans la galerie vitrée, et il était seul.

Hello, boy ? Qu’est-ce qu’il y a ?… Et d’abord asseyez-vous. On va vous apporter ce que vous voudrez.

— Merci !… dit-il en prenant place à la table. Je ne bois jamais rien. Je viens vous dire qu’il faut que je parte tout de suite. Ma mère est morte. Voilà la dépêche. Vous pouvez lire.

Le cow-boy ne jeta qu’un coup d’œil.

— Partir ?… s’écria-t-il, partir, en septembre, dans la saison la meilleure, et quand vous êtes indispensable à cette tournée en Espagne sur laquelle je compte tant ? J’aurais