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la mère et le fils

mesure qu’il parlait, emporté par l’espèce de folie native qui était en lui :

— C’est que j’ai des projets pour plus tard, vous savez !… Tenez ! Aujourd’hui, je travaillais quelque chose… quelque chose qui me sortira du cirque, de la routine, des bêtises, de l’obscurité. C’est si stupide ces malheureux tours qu’on vous fait faire, qu’on me fait faire ! Ils nous mangent notre jeunesse pour cette misère !… Vous saurez mon idée, un jour. Je travaille en grand secret… Je veux inventer… Je pense à des bas-reliefs, à des tableaux de musée, à des ballets, à des poèmes, à de la musique. Je veux remplacer les écuyers et les voltigeurs par un être, un dieu dansant dans des ombres, des lumières et des voiles… L’Amour Sorcier, de Falla… Du sublime encore inexploré… J’utilise la cabrade comme un moyen de fougue harmonieuse, un envol de Pégase dans l’Empyrée, pendant que le poète tend les bras vers le ciel pour allonger encore l’élan du cheval… Il y aura peut-être aussi une trompette d’or… On pourra faire de l’Apocalypse… Et je vois Apollon, Apollon…

Il revint en sursaut à lui sur ces mots :

— Apollon ?… Qui c’est-y, celui-là ?…

Effarée, la fillette le regardait. Il se mit à rire de tout son cœur. Il l’adorait pour cette ignorance.

Sans plus rien chercher, il la reprit vivement par la tête, à deux mains, et l’embrassa sur sa joue contusionnée, avec un entrain d’enfant.

— Va, ma petite, va ! Dépêche-toi de retourner chez toi ! Tu seras tuée de coups si on s’aperçoit de ce que tu as fait. Je t’aime bien. Je suis là. Tu n’es plus toute seule. Va, ma chérie, va !

Et, parfaitement docile, illuminée, elle s’en fut en courant avec ce baiser et ce tutoiement, légère, presque gracieuse, tout à coup.