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la mère et le fils

Il resta longtemps silencieux. Elle dormait. Il l’entendait à sa respiration longue et calme.

Il reprit enfin, et son intonation sourde était celle d’un garçon de dix ans :

— J’étais beau en cosaque, vous savez !

Les dents serrées :

— On est si bête, quand on ne sait pas encore ! Je croyais, sur mon cheval, m’élancer à la conquête du monde. Et je n’avais personne, personne à qui le dire ! Je n’avais que la lettre de tante Marguerite à embrasser. Il me semblait que j’étais comme un petit Tamerlan. Je voulais les écraser par quelque chose de plus beau que ce qu’ils voient tous les jours, je voulais faire quelque chose qu’ils ne peuvent pas faire, eux.

Frémissant, il poursuivit :

— J’ai besoin de les écraser, de les faire crier, de les sortir d’eux-mêmes. Ils sont si atroces ! Je les hais !… Vous dites que je suis anarchiste. Non. C’est eux qui sont atroces. Je ne veux pas être comme eux, voilà tout !… Et puis, maman, oh ! si vous saviez !… Ça ne leur a rien fait de me voir. Rien du tout. Ils m’ont pris pour Dick, ou un autre. Alors j’ai compris que je n’étais qu’un pauvre écuyer de cirque qui gagne vingt francs par jour… Voilà.

Il se mit à sangloter. La main de sa mère, tout de suite inondée de ses larmes, lui mouilla la figure. Secoué de spasmes, il continua, divagation hachée :

— Tout à l’heure, dans le parc, c’était si beau ! Il y avait cette étoile, ces grillons, ces grandes herbes, et les arbres, les arbres… Et la nuit pleine de choses qui remuaient et qui sentaient bon… Je voulais rester toute la vie avec vous, dans notre maison, dans notre parc. Je ne voulais plus partir, je ne voulais plus être libre. Je ne voulais que vous, que vous. Je voulais… Je ne savais pas ce que je voulais, mais c’était si beau !… Je suis poète, moi, maman ! C’est affreux d’être poète ! J’étais déjà poète étant tout petit, tout petit. C’est pour ça que je vous ai fait tant de mal. Le lycée, mes oncles… non ! non ! Mes frères et leurs filatures, non ! non !… Tout ça n’était pas possible pour moi. Et moi je tournais autour de vous. Je vou-