Page:Delarue-Mardrus - L’hermine passant, 1938.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.
135
l’hermine passant

Thibault. Mais, cette lettre-là, je l’ai brûlée. Ma sœur ne l’a pas eue. C’est vous qui saurez tout, Marguerite, vous seule, car je n’ai rien dit à mon mari. Je ne pouvais pas lui dire ; je ne peux pas dire, jamais, à personne. Il faut que cette lettre soit venue et que vous vous soyez trouvée là… Et Thibault s’est mis avec une drôlesse du ruisseau qu’il a menacé d’épouser si on ne lui donnait pas d’argent. C’est pour ça qu’ils vous ont vendu le La Tour. Et Thibault a dit aussi qu’il apporterait son bâtard chez nous pour que nous l’élevions, et mademoiselle a dit, Marguerite, qu’un nouveau-né n’était pas nécessairement viable. Tout ça ! Et la pauvreté, et l’hypocrisie, et la cachotterie, et la lumière à l’huile et aux chandelles, et n’être jamais seule, et mal manger depuis que nous sommes nées, Marie-Louise et moi, et vivre dans la terreur et le noir sans rien qui puisse faire plaisir, rien, rien, rien !… Et personne à qui le dire jamais, jamais, jamais ! Marie-Louise plus cafarde qu’eux tous, maman malade et dominée, papa ricanant comme vous l’avez vu, Thibault enragé et qui nous pinçait au