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Comme tout le monde

cette sensation n’allait pas jusqu’à son cerveau.

Simplement, une inquiétude la menait. Elle était restée, depuis ce matin, troublée, mélancolique. Ce souffle de Noël qu’avait glacé la moderne Zozo l’agitait pourtant encore. Il fallait qu’elle allât devant elle, qu’elle marchât sans regarder ses enfants, sans tenir compte de la petite bonne qui s’essoufflait derrière la voiture du bébé…

À grands pas on arrive, au bout d’une heure, devant une grille de jardin. Une maison vieillotte se dresse entre deux paquets d’arbres. Le son affaibli d’un piano trouble le grand silence campagnard où le ciel jaune prépare de la neige. La nuit va tomber bientôt.

Isabelle, arrêtée net, tend l’oreille.

— C’est la maison de M. et madame Godin, dit la petite bonne.

— Ah ? fait Isabelle qui, d’un signe, impose silence à tout le monde.

Appuyée à la grille, elle écoute, elle écoute de toute son âme. Ce doit être M. Godin qui joue. Sans doute madame Godin, installée près de lui, achève quelque tableau du bout de ses calmes pinceaux. Les deux vieux originaux, qu’ils sont heureux ! Musique, peinture !… Que joue-t-il donc, M. Godin, que joue-t-il qui se répand si tristement à travers le silence ?