Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
Comme tout le monde

elle se sent moqueuse, pimpante, profondément heureuse. Qu’y a-t-il donc aujourd’hui de si joyeux dans l’atmosphère ? On dirait que, dans la vie d’Isabelle, vient de passer un peu de merveilleux.

La lumière qui tombe de cette fenêtre étroite de la salle à manger effleure son profil penché, entoure d’une auréole ses cheveux ardents, cassants, met un éclat sur sa nuque, intacte comme du marbre blanc. Quand elle relève la tête, elle voit, par la vitre, un morceau de son jardin, tout alourdi de verdures, piqué de fleurs vives, puis, en perspective, deux arbres rapprochés et fluets qui dépassent le petit mur du fond. L’un de ces arbres, sensiblement plus haut que l’autre, a l’air de se pencher vers son camarade. L’imagination d’Isabelle prend ces deux arbres pour motif et se met à broder.

… La femme, à travers ses occupations ménagères, a toujours le temps de rêver, tandis que le mari, accoutumé depuis le collège à des pensées précises, s’absorbe dans des travaux ou des affaires qui n’ont rien à voir avec le songe. Aussi rapporte-t-il au foyer un esprit toujours net, plus pur, pour ainsi dire, que celui de sa compagne, laquelle, au cours de la journée, a pu, tout en travaillant, se saturer l’âme de chimères. En vérité, le loisir d’esprit des femmes est le plus grand danger que courent les maris.