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Comme tout le monde

Taranne-Flossigny. Mais à peine a-t-elle pu distinguer un vague profil derrière les vitres. Isabelle n’a jamais été en auto. Aller en auto représente pour elle tout le luxe de l’existence. Mais elle n’envie pas cela. Ce qu’elle voudrait, c’est avoir encore dans sa poitrine le cœur riche des gamines, celui qu’elle sentait battre si fort en elle lorsqu’elle se promenait avec Linda sa compagne, dans les chemins creux du pays.

En rentrant de ces promenades, quand elle avait rêvassé de la sorte, elle éprouvait le besoin d’embrasser ses enfants, se jetait sur le petit lion plus patient que Zozo, le serrait contre elle, le berçait, enfonçait sa jolie bouche fraîche dans la joue du tout petit bonhomme. Ou bien, sans même prendre le temps d’ôter son chapeau, vite elle s’asseyait au piano, prise d’une envie irrésistible de se gonfler de chant. Et sa voix pure et juste montait, avec une facilité d’oiseau, jusqu’à des notes excessives.

Du reste elle avait repris sa méthode, et, chaque jour, tandis que la petite bonne gardait les enfants au jardin, elle remplissait de ses vocalises le salon protocolaire et froid.

Or il arriva que la petite bonne, à force de circuler au galop dans les escaliers, se prit un jour les pieds dans son tablier trop long, et tomba brutalement à travers les marches.