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Comme tout le monde

temps. On passe des nuits, elle à coudre pour quelque magasin qui lui paiera huit sous pour chaque nuit blanche, lui à faire des copies dont il tirera moins encore… Puis la catastrophe arrive. Le vol, la fuite, le suicide. Non pas même le suicide, mais la démence et la cécité. Si l’homme guérit, c’est la prison. S’il ne guérit pas, c’est l’infirmité, l’asile des aliénés. Dans les deux cas, c’est la rue, c’est la mendicité pour la mère et les deux petites aux yeux bleus… Que répondre à ce dilemme ? Ne vaut-il pas mieux imiter les malheureuses qui s’en vont dans la mort, une nuit, emmenant leurs enfants avec elles, parce que la vie ne veut pas les accueillir, celles-là qu’on retrouve, un matin, asphyxiées en famille dans leurs galetas, tandis qu’un reste de charbon brûle encore dans le réchaud libérateur ?…


La tête en avant, Isabelle bondissait par-dessus les flaques, insensible à la pluie qui lui cinglait le visage.

« Moi, je suis la femme de Léon Chardier, avoué, cet homme parfaitement honorable que tout le monde respecte dans la ville. Moi, je possède une maison où la table est, chaque jour, copieusement servie, où, l’hiver, il fait chaud, et frais l’été. J’ai, pour promener mes loisirs, un beau jardin plein de fleurs, je suis bien portante, et tous les miens