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Comme tout le monde

eût dit que, dans la maison, un grand bonheur se préparait.

Isabelle, cependant, avait le cœur serré. Au milieu de cette agitation heureuse, elle se souvenait de ses émerveillements passés, quand la vie, pour elle, était aussi comme une belle promesse ; elle se souvenait qu’elle avait été fraîche de joues et d’âme comme sa fille ; et ce rappel direct des premières années lui faisait sentir plus profondément la tristesse de son âge.

Oui, la vie, pour elle, n’avait été qu’un long pensum. S’ennuyer… souffrir… Toute son histoire tenait en ces deux mots.

Quand Zozo, devant un nouveau bouquet ou devant une boîte de fruits confits arrivée de la gare, battait des mains, Isabelle avait envie de pleurer. Les yeux brillants de sa fille lui faisaient peur. Et le dimanche, comme les deux fiancés causaient à voix basse dans un coin du salon, alors que, son ouvrage à la main, elle les gardait suivant la coutume, elle songeait d’avance aux désenchantements que toute cette fête préparait.

On ne s’aperçoit pas qu’on vieillit. L’âge nous gagne lentement, comme une maladie sournoise, maladie mortelle, puisqu’on en meurt fatalement. Et tout à coup, un jour, quelque circonstance imprévue nous fait sentir brusquement le fardeau