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Comme tout le monde

— Voyons, se répète Isabelle, M. Godin souffre certainement. Et pourtant sa femme n’a pas l’air de le plaindre… C’est qu’elle souffre aussi. Pourquoi se font-ils souffrir mutuellement ? Ils ne sont pas méchants, ces gens ?…

Elle relève encore une fois les yeux, regarde Léon à la dérobée :

— Est-ce qu’il souffre, lui ?…

De tout son courage, Isabelle essaie de trouver la vérité. Certes, le Léon d’aujourd’hui ne ressemble plus à celui d’autrefois ! Comme ses épaules sont tristes, comme ses yeux sont éteints !… Lui aussi, peut-être, aurait pu être plus heureux. Il aurait pu trouver une compagne mieux appropriée à son humeur, une simple ménagère, une femme active, pratique et sensuelle, sans rêves, sans aspirations, aussi quelconque que lui.

Ce bonheur n’était pas difficile à réaliser, pourtant ! Mais la vie organise, autour de l’idéal le plus humble, des barricades d’empêchements, des obstacles insurmontables. Il semble vraiment que tout, même la plus ordinaire, la plus vulgaire félicité, soit inaccessible, à l’égal des plus extravagantes chimères…

En somme c’est lui, Léon, qui gagne le pain de la famille. Depuis vingt ans il travaille, il peine, et nul ne semble lui en savoir gré. Sa fille lui manque