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Comme tout le monde

Quoique sa pensée flottante, habituée surtout à rêver, se fixât difficilement sur des précisions, une image saisissante retenait pourtant son attention.

Que madame Godin eût découvert que son mari ressemblait au gros crapaud du jardin, c’était normal. Isabelle eût facilement trouvé quelque comparaison analogue pour son mari. Mais que M. Godin eût, de son côté, assimilé sa femme à une chauve-souris, cela dérangeait les idées d’Isabelle. Ce crapaud et cette chauve-souris ne quittaient pas sa pensée.

Donc, les maris souffrent aussi ; et ce sont leurs femmes qui les font souffrir…

Malgré qu’elle tentât de rester partiale, Isabelle était obligée de convenir avec elle-même que M. Godin avait raison, tout autant que madame Godin.

Le symbole facile du piano et du chevalet vient l’aider dans sa méditation. Elle jette un regard furtif sur Léon :

« En somme, tels que nous voilà tous deux, pense-t-elle, lui vexé, moi rancunière, installés devant le même feu mais ne nous parlant pas, nous ne sommes pas une exception. Nous sommes comme tout le monde… »

L’esprit de la petite femme fait un grand effort pour s’élever, pour planer au-dessus de son existence propre, pour comprendre la misère univer-