Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/301

Cette page a été validée par deux contributeurs.
289
Comme tout le monde

goût de Pelouse, peinture démodée qui lui parut une espèce de miracle. Puis M. Godin, sur ses instances, s’assit au piano. Les mélodies de Grieg la bouleversèrent.

Ils étaient tous montés, pour cette peinture et cette musique, dans une grande pièce qu’on appelait l’atelier. Les chevalets de la femme voisinaient avec les casiers à musique du mari, dans un désordre touchant et comme symbolique. Boîtes à couleurs chavirées, palettes posées sur des cahiers de sonates ouverts. Sur le piano droit, un pied et une main en plâtre, des fruits à demi pourris, restés d’une nature morte. Par la grande baie vitrée du fond, on voyait un bout de la route Sainte-Marie, la campagne creuse, l’horizon. Il faisait beau. Isabelle, bercée de musique, les yeux errants sur les toiles fraîches, parmi les chuchotements déjà secrets de sa fille et du jeune avocat, sentait une ivresse monter en elle. Pour une fois dans sa vie, elle ne s’était pas trompée. Cette maison était la maison du bonheur.

Sur le seuil, au moment des poignées de main du départ, madame Godin demanda à madame Ghardier la permission de faire le portrait de sa fille. Zozo viendrait poser tous les après-midi, à partir de demain. Le jeune avocat regardait Isabelle d’un air suppliant, Zozo la regardait d’un air


17