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Comme tout le monde

Comme Léon n’avait plus de maîtresse, il y eut, certaines nuits, des scènes grotesques, où le morne mâle essayait, sans y réussir, de séduire sa morne compagne. Et toute la misère des ménages se concentrait en ces deux êtres vieillis, aigris, que des usages imbéciles couchaient ensemble comme des amants.

Au bout de quelque temps, le mari harcelé montra des épaules plus affaissées, des yeux plus ternes, une démarche plus veule encore. Sa morose attitude quotidienne s’accentuait. L’habitude, plus lamentable que toutes les tristesses, le façonnait à son nouvel état. Piqué, vexé, couvert d’un mépris continuel, rendu responsable de tous les déboires de la vie, il finissait par trouver naturel d’être ainsi traité, de même qu’un eczémateux s’accoutume à son eczéma.

Le printemps revient, qui semble une invitation au bonheur. Le jardin léger s’orne de branches toutes bouffantes de fleurs ; les petites feuilles, sorties des bourgeons serrés, se déplient ; l’air se fait délicieux, le ciel clair ; les oiseaux assourdissants préparent leurs nids comme aux premiers temps du monde. Parmi l’adolescence universelle, monsieur et madame Chardier, cet homme et cette femme pareils à des milliers d’hommes et de femmes, sont l’Adam et l’Ève civilisés, dégénérés,


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