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Comme tout le monde

bitude, depuis deux ans, de voir circuler dans leurs rues de pauvres cette dame qu’elles appellent « du beau monde », et dont elles ignorent peut-être le nom, parce que, même au fond de la province, les castes sont trop nettement séparées pour que rien rapproche le bourgeois de l’ouvrier.

… « Tu chantes, et tu parles de ta douleur !… » On dirait qu’Isabelle fuit un cauchemar qui la poursuit.

Sous la pluie d’aujourd’hui, la voici qui, par grandes enjambées, gagne une fois de plus la grille derrière laquelle les morts s’entassent, couchés en long sous les croix debout. Elle porte un bouquet sur son bras, des roses de serre qui déjà s’effeuillent aux plis du crêpe rugueux. Entre les rangs de pierres rapprochées, elle trouve vite son chemin quotidien. Voici la tombe, voici son fils…

Avec des gestes coquets de modiste, elle arrange les roses sur le marbre blanc, puis tombe à genoux sur le rebord dur et, la tête dans les mains, sanglote. Et sa pensée sans paroles veut dire :

« Petit lion, petit lion, je voudrais être à côté de toi sous le marbre. Est-il possible que je ne puisse te parler, te dire que je t’ai compris, que je t’aime, que je t’ai donné, pauvre poussière, mon cœur vivant dont les vivants n’ont pas voulu. Ô ce qui