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Comme tout le monde

Elle reprit les accords du commencement. Depuis des années, elle n’avait pas chanté. Sa propre voix l’étonna.

Une chanson d’amour sort des sources troublées…

Le registre avait baissé. Les notes, comme rouillées dans la gorge, sortaient enrouées par moment. Et cependant ce joli timbre qu’Isabelle avait possédé jadis comme un trésor au fond de son gosier restait émouvant encore, attestait la beauté passée de ce don ravissant que personne n’avait soupçonné jamais au temps de sa fraîcheur. Et cette pauvre voix fatiguée, c’était comme la jeunesse finie d’Isabelle s’essayant encore à vivre quand il n’était plus temps.

Le docteur Tisserand, debout contre le piano, immobile, la regardait de ses ardents yeux noirs. Une émotion cachée faisait se hausser nerveusement l’un de ses sourcils ; et ses fines narines palpitaient, au-dessus de sa barbe blanchie.

Isabelle, sans le voir, sentit son émotion. Et elle releva sa tête, et leurs regards se heurtèrent l’un à l’autre.

Isabelle, les mains arrêtées sur les touches, s’est tue sans savoir pourquoi. Il lui semble qu’elle devine tout à coup des choses. Des possibilités anciennes achèvent de mourir entre ces deux êtres