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Comme tout le monde

la tristesse ironique d’avoir reconnu que le petit Louis, « fils du rêve », n’était pas le fils du rêve… En somme n’avait-elle pas perdu ses deux garçons ?

Il lui restait sa fille, cette pimpante étrangère ; il lui restait son mari, ce morose ennemi.

Léon Chardier, depuis que sa femme ne l’inquiète plus, a repris sa mauvaise humeur et tous ses tics. Le deuil, en passant par son foyer, a rendu l’avoué plus terne encore. Lui aussi porte sur ses épaules le fardeau de vingt ans de ménage.

La tristesse accablante et silencieuse de sa femme l’irrite presque, à présent. Il voudrait qu’elle reprît goût à la vie d’intérieur. Il y a, dans cette tristesse sans paroles, quelque chose qui lui est hostile, quelque chose aussi qui le frustre de ses droits. Il en est obscurément jaloux. Il se sent sacrifié. Son amertume s’aggrave chaque jour.

Dans le mariage bourgeois, on peut dire que l’époux et l’épouse sont l’éteignoir l’un de l’autre. Quand l’amour ne rapproche pas l’homme et la femme, on voit bien qu’ils ne sont pas faits pour s’entendre. C’est de la différence des sexes que vit la passion des couples ; c’est aussi de cette différence que vit leur inimitié. Comment la nature masculine exacte, évidente, et, si l’on peut dire, géométrique, peut-elle se marier durablement au chaos féminin, informe et fantasque comme la mer ?